14 octobre 2023

Interview de Perrine : le voyage comme reconstruction

Ou comment le voyage peut aider à se reconstruire après un burn-out. Perrine nous explique son cheminement et sa façon de concevoir le voyage, avec beaucoup de sincérité et de philosophie.


Un grand bol d'air

Bonjour Perrine. Peux-tu brièvement te présenter ainsi que ton parcours ?



Curieuse, je suis une voyageuse de la vie qui aime le mouvement, les découvertes, les rencontres, les défis et les surprises. Et aussi les temps d’escale et de digestion. J’aime prendre le temps d’écrire et de me perdre un appareil photo à la main, parfois dans mon potager lorsque les coccinelles dorment encore dans les feuilles de tournesol. Je m’émerveille de l’éclairage, des premières pousses, des abeilles qui butinent les fleurs de ciboulette et de bourrache alors que des colibris (je vis en Californie) foncent à quelques centimètres de mon visage. Je suis fascinée par la Vie sous toutes ses formes, vie intérieure comprise.

Crédit Marie-Seillery - Changement radical

J’ai grandi entre les embruns et les chemins verts de Normandie (avec l’Angleterre juste en face), la campagne béarnaise et les montagnes ariégeoises en vacances. Au collège, les langues (anglais, latin, allemand, espagnol) sont des portes d’entrée sur des civilisations et cultures qui m’intriguent. Je participe à des échanges de jeunes (Suède et Allemagne) puis suis des études de commerce à Bordeaux (Kedge) et Münster en Allemagne. Dans ma vie professionnelle, j’interagis avec beaucoup d’interlocuteurs en Europe et au-delà.

Petit coin de Suède

Ma vingtaine est une décennie de conquête mais aussi d’oubli de certaines parts de moi.

En 2014, mon monde s’effondre et mes certitudes volent en éclat : j’avais réussi dans la vie mais je n’avais pas réussi ma vie.

Après des mois de rien, je pars avec un sac à dos de 35 litres sur le dos.

Comment mettre toute sa vie dans un 35 litres

Depuis, j’ai vécu de multiples aventures, rencontré l’amour, changé de métier et je me considère semi-nomade.

Le point de départ de ton changement de vie a été un burn-out. On a l'impression que le corps dit stop mais aussi que l'esprit n'est plus capable de réfléchir sereinement et d'agir sur ce qu'il convient de faire à ce moment-là ?


Quand je m’effondre en juin 2014 – à presque 30 ans, je n’ai aucune idée de ce qui se passe. Je comprends alors (enfin) que je vis une situation de harcèlement moral au travail. Je suis à bout de solutions et je suis épuisée.

A l’époque je pensais que le burn-out touchait exclusivement des personnes constamment sur le pont et qui vivent/voient des situations très difficiles comme les soignants et les pompiers.

Les émissions de radio sur le harcèlement au travail que j’écoute à ce moment-là dévient régulièrement sur le burn-out. Je tenais mon diagnostic.

Vivre un burn-out pour une personne qui va toujours de l’avant et trouve toujours des solutions (le profil des burnouté.e.s) est une expérience effrayante car, tu as raison, du jour au lendemain, le corps dit « stop » et le cerveau refuse la mise à l’arrêt. Il est dans le déni. Il imagine le pire, retrace le chemin parcouru, imagine 1001 scenarii, turbine à 200 km/h pour éradiquer le problème. Il est en surchauffe et épuise encore plus la machine corps/cerveau.

Comment sort-on la tête de l'eau à ce moment-là ? Pourquoi est-ce si difficile ?


Ça varie d’une personne à l’autre.

Pour moi, la principale difficulté, c’était une l’incompréhension. Face à ce qui m’arrivait, et celle de mes proches : « reprends-toi, ça ne te ressemble pas. ». L’épuisement professionnel est un mal qui ne se voit pas, je n’avais pas de mots et il n’existe pas de pilule magique.

Lorsque je pose mon diagnostic, je sais que ça va être long. Je n’ai plus d’appétit, j’ai des douleurs musculaires partout, je dors très peu la nuit, peine à rester éveillée la journée. Je ne contrôle rien. Ce n’est plus mon cerveau et ma volonté qui décident.

Donc, à ta question « comment on sort la tête de l’eau » : en lâchant et en faisant confiance. Il faut admettre qu’on n’a que très peu de marge de manœuvre parce que ce n’est pas une phase pour faire mais pour laisser faire.

Se lancer, tomber, se relever, apprendre

→ Pour en savoir plus, rendez-vous sur cet article du blog de Perrine ou écoutez le podcast de cette interview.

Qu'est-ce qui te paraît le plus aidant : le retour à la nature, au sport, voir du monde, casser la spirale de la négativité, la construction d'un nouveau projet... ou autre chose ?


Voir du monde : impossible ! La honte est énorme et personne ne comprend ce que tu vis. Et quand tes proches et collègues cherchent à t’aider ou te donner des conseils, ils t’enfoncent un peu plus sans s’en rendre compte !

A l’opposé, l’antidote, c’est du temps seul.e. Du temps de rien. Apprivoiser le silence pour entendre ce que j’avais tu ou délaissé. Regarder à l’intérieur m’a permis de voir le décalage entre qui j’étais et qui j’étais devenue.

Aujourd’hui je suis coache et savoir repérer les pensées qui sous-tendent nos actions/réactions/non-actions est une immense partie du travail. Alors on peut constater si oui ou non elles nous emmènent dans la direction qu’on a choisie. Dans mon cas, je n’avais pas vraiment choisi ma direction, j’avais suivi les rails, les injonctions...

Je retiens 3 leçons de mon burn-out : 1- seule moi sais ce qui est bon pour moi, 2- savoir dire « non » et 3- savoir dire « moi je ».

Petit à petit, j’ai recommencé à sortir : de courtes sorties en nature, d’abord dans le quartier puis un peu plus loin (rivière, lac) avec le chien de mes parents, souvent à l’aube ou au coucher de soleil. J’ai aussi sympathisé avec le chat du quartier (ronronthérapie) et commencé la photo.


Quant à la spirale négative que tu évoques : au début je ressentais une profonde colère face au fait que personne n’ait vu ou dit quelque chose. Sauf qu’il y avait eu des alertes. Des alertes physiques que j’avais ignorées (fatigue, envie de rien et même malaises) et des remarques de quelques collègues : « ce n’est pas à toi de faire ça », « je ne sais pas comment tu tiens », « à ta place, je serais parti.e depuis longtemps. »

« A cœur vaillant, rien d’impossible », la devise des personnes qui se retrouvent en situation d’épuisement.

Quand une amie m’a envoyé le lien vers un article qui parlait du burn-out comme d’un point de passage pour une renaissance, j’ai enfin abandonné le masque de la victime pour me concentrer sur l’essentiel : ma guérison. Je savais que ce serait long, l’horizon était très brumeux mais j’avais foi car je savais que le soleil brillait de l’autre côté.

Les étapes colère et victimisation étaient nécessaires sur le chemin de ma guérison.

Je dirais que la remontée de la pente est passée par un changement de posture, de rythme et d’hygiène de vie (sommeil, alimentation, mouvement, respiration) et aussi d’hygiène mentale : abandonner ma to-do list, troquer mes râleries pour des célébrations, un dialogue intérieur bienveillant, poser des limites, etc.

En quoi le voyage a-t-il aidé à te sortir de cette situation ?


J’ai commencé à voyager 9 mois plus tard : une véritable gestation !

Crédit Marie Seillery - Conclusion

La vérité c’est que 6 semaines après mon effondrement, j’ai décidé de reprendre une semaine avec mes congés d’été. Compliqué mais faisable. Puis la rentrée de septembre, j’ai tenu coûte que coûte jusqu’au salon que j’organisais et mi-octobre je m’effondrais de plus belle. Encore une fois j’avais tenté le passage en force.

Le voyage m’a permis de complètement intégrer mes nouveaux apprentissages et d’honorer mes besoins et envies.

J’ai commencé petit et 3 mois plus tard, à Copenhague, à bord d’un voilier que j’aidais à restaurer, je trouvais mon style de voyage : lent, long, en lien avec le territoire et au contact de personnes qui faisaient des choix courageux et inventaient un autre monde.

Ma devise : « si ça me plaît, je reste, si ça ne me plaît pas, je passe mon chemin. » Quand dans la vie sédentaire, j’avais tendance à me laisser enfermer dans des situations que je ne souhaitais plus, désormais, les portes étaient grand-ouvertes.

On met les voiles !

Dans plusieurs de tes expériences, on ressent un besoin de se retrouver avec soi-même voire de s'isoler, bien que ces expériences puissent être vécues avec d'autres personnes. Prendre du temps pour soi, est-ce une des priorités pour aller mieux ?


Absolument. C’était la suite logique de mon chemin.

Socialisée à être extravertie, vie professionnelle en contact permanent avec différents interlocuteurs (recherche & développement, commerciaux, usine, fournisseurs, agences, salons, clients, compta, etc.) et une vie personnelle que je souhaitais tout aussi active et palpitante, j’avais grand besoin de poursuivre la retraite amorcée pendant ma convalescence burn out…

Au mois de septembre 2015, je pars en Nouvelle Zélande avec un Permis Vacances Travail (PVT) d’un an. Toutes mes affaires tiennent dans un sac-cabine et au-delà des 4 premières nuits à Auckland, je n’ai ni programme, ni billet retour. Mais j’ai du temps et beaucoup d’espace… Et la furieuse envie de les défendre.

Nouvelle-Zélande, nouveau départ


Je parle souvent de mini-retraite ou de lune de miel avec moi-même. Cette quête d’intériorité, ce n’est plus pour aller mieux mais pour retrouver la direction juste pour moi.

Car en quittant mon travail et ma vie confortable, je savais que je n’y retournerais pas. Je voulais être ouverte à tout ce qui se présenterait, je voulais laisser la part belle aux hasards (qui n’existent pas) et aux rencontres : dauphins, apiculture, voile, rando solo, autostop, mon futur époux…

Je voulais permettre à mes rêves et envies ensablées de refaire surface. Comme le rêve d’apprendre à naviguer pour un jour traverser l’Atlantique à la voile… ou de participer au Sun Trip.



Peux-tu nous raconter dans tes expériences en bateau comment on gère cet isolement. On doit se sentir à la fois très libre, mais finalement dans un espace très restreint ?


Tu as raison au sujet de l’espace restreint. Surtout en compagnie d’un capitaine et de 9 jeunes dans un voilier de 15 mètres de long. Souvent, les voiliers des années 70-90 ont un intérieur en lambris et des couchettes, ce qui les rend très chaleureux et favorise à la fois le partage et la considération des autres. J’y vois plus de convivialité que d’isolement.

Aussi, si je considère qu’en temps qu’être humain, je fais partie du milieu naturel, alors je ne suis isolée/coupée de rien. Au contraire, je suis connectée à tout ce dont j’ai besoin : les éléments, les levers et couchers de soleil, les levers et couchers de lune, je reconnais les étoiles, je lis les nuages et ressens le vent…

Je distinguerais navigation côtière et hauturière. J’ai quitté le plancher des vaches progressivement.

En 2015, je n’avais jamais mis les pieds sur un voilier. Pendant mon séjour de 3 mois à Copenhague à bord d’un 2 mâts à quai, j’ai eu l’opportunité de faire plusieurs sorties de quelques heures sur un voilier sans moteur de 1903 !

Puis en Nouvelle Zélande, j’ai assisté un capitaine qui emmenait des jeunes dans la wilderness (le monde sauvage) mais on restait dans une anse protégée pour éviter que l’équipage ne soit malade… il valait mieux, au milieu des Quarantièmes Rugissants !

Avec mon objectif de traversée de l’Atlantique, je voulais prendre le large… mais rien ne se passe jamais comme prévu à bord d’un voilier. 2 semaines au large de Moorea, 55 jours en mer Baltique et je n’avais toujours pas navigué plus de 20 heures sans toucher terre (ou le fond marin au mouillage).

Enfin, en 2017, j’ai fait des « passages » entre Gibraltar et la Costa del Sol puis la Costa Blanca, Ibiza et Minorque. J’assurais des quarts de nuit de 3 heures et recevais régulièrement la visite des dauphins ou assistais seule au spectacle des Perséides.

Une autre vision d'Ibiza

Puis j’ai enchaîné avec une traversée à deux de Gibraltar à Lanzarote. Révélation. Car se relayer à deux signifie : un qui tient la barre, un qui dort. Au début j’étais sur le pont la majorité de la journée mais aidée par une légère insolation, j’ai compris que mon repos était capital pour notre sécurité. J’ai alors pris un grand plaisir à lire, dormir, écrire, tutoyer les étoiles et les oiseaux marins. Il y avait plus de place pour mon intériorité, pour me remplir de ce que moi je vivais et moins faire la conversation et absorber des choses extérieures à mon expérience.

Au détroit de Gibraltar

Puis Nate (mon cher et tendre) m’a rejoint et à quatre, on a traversé de Galice à Madère puis de Madère à Lanzarote.

Et fin janvier 2018, la traversée de l’Atlantique à quatre : 6 jours des Canaries au Cap Vert et 15 jours pour atteindre l’île de La Barbade.

Ca peut paraître long mais c’est passé vite car la vie à bord est rythmée par nos quarts, le repos, le repas pris ensemble et les réparations (inévitables !)

Isolement ET convivialité


Itinéraire des navigations atlantiques de Perrine



Voyager en mode de transport doux (marche, vélo, voile, auto-stop) : est-ce du coup devenu indispensable pour justement prendre son temps et se retrouver ?


Tout à fait !

La marche pour s’éloigner des foules, accéder à des lieux sauvages et s’entendre penser.

Le vélo pour aller un peu plus loin et flotter dans les descentes.

Le stop pour découvrir un territoire à travers les histoires de ses habitants.

La voile pour se faire bercer et vivre le miracle d’une terre émergée après des jours d’infini.

Les Açores, passage obligé pour un marin !

Lorsque j’ai travaillé en Suisse à la fin des années 2000, je « voyageais » beaucoup comme disait mon chef belge néerlandophone. J’accompagnais les commerciaux en tournée, rencontrais des fournisseurs, assistais à des salons, des conférences et prenais encore l’avion les week-ends. En tombant récemment sur mon calendrier 2009, j’ai constaté que j’avais pris l’avion 50 fois cette année-là ! C’est dingue !!

Déplacement et voyage sont pour moi deux notions distinctes.

Le déplacement ignore souvent le territoire. Par exemple, je rendais souvent visite à un client à Amsterdam et je ne connaissais que l’aéroport aseptisé, le taxi, l’hôtel en périphérie et sans personnalité, un autre taxi et les locaux du client. Puis retour en sens inverse. D’Amsterdam, je n’avais rien vu ! Ça me paraissait complètement absurde. Au 4ème déplacement, j’ai pris un hôtel au bord d’un canal, la navette aéroport-gare centrale et rencontré une Amstellodamoise d’origine indonésienne grâce à Couchsurfing. Elle m’a rejoint à l’hôtel à vélo, m’a dit « monte à l’arrière », fait visiter et goûter de fabuleuses frites dans une brasserie en service depuis plus de 200 ans !

Je venais d’ajouter du voyage au déplacement.

Au printemps 2015, j’ai encore peu d’énergie et quand je prends un aller-retour pour 3 semaines en Grèce, ça me paraît suffisant pour découvrir le pays. Grave erreur. Je passe la dernière semaine au même endroit. Epuisée de bouger tous les jours et frustrée de ne pas avoir pu rejoindre de jeunes Grecs grâce à HelpX qui ont opéré leur retour à la terre.

Retraite en Grèce

Un mois plus tard, au cours d’une conversation avec une Danoise à bord du fameux voilier qu’on restaurait, lorsque je lui raconte que je vais partir en Nouvelle Zélande, elle me dit combien elle a aimé ce pays… et qu’elle n’y retournera pas car elle ne prend plus l’avion.

Boum ! Jusqu’à cet instant, je ne m’étais jamais posé la question. Tout le monde prenait l’avion au travail, cumulait ses miles et les utilisait en vacances. J’étais intriguée. Cette Danoise était plus jeune que moi et elle était plus sage. Elle se posait des questions que je ne m’étais jamais posées. Juste avant, elle m’avait raconté son choix électoral et sa fierté à l’endroit de ses compatriotes qui ont tout fait pour pousser l’usage du vélo dans les années 80. « Regarde aujourd’hui, on est tous.tes à vélo et notre cadre de vie est tellement agréable. Nous sommes un petit pays de 5 millions d’habitants, nous pouvons faire des choix intelligents et avancer dans une direction saine et soutenable. »

J’aime le principe d’abord entendu dans la bouche de Mathieu Chambaud (Fondateur de Slow Rando et réalisateur du documentaire « Via Alpina ; l’envers du chemin ») : "quand je vais quelque part, je m’assure d’y passer le temps qu’il m’aurait fallu pour m’y rendre à pied".

Retrouvez ici la suite de l'interview de Perrine... son expérience sur le PCT, le bilan de ses expériences, la suite de ses aventures... Palpitant !

Et maintenant, que visiter ? Les autres itinéraires de voyage


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