19 mai 2023

Interview de Jean Romnicianu, randonneur ultra-léger

Rencontre de Jean Romnicianu, alias Sahib voyageur. Interview passionnante d'un grand Monsieur, adepte de randonnée ultra-légère : malgré ses expériences hors du commun, on se régale de ses mots qui respirent l'humilité, la sagesse et la philosophie.


Bonjour Jean. Peux-tu brièvement te présenter ainsi que ton parcours ?

Né en 1954, j'ai commencé à randonner à quinze ans. Et je n'ai plus arrêté. Enfant d'expatrié, j'ai toujours voulu vivre à l'étranger et j'ai réussi : parti en routard à 25 ans, j'ai été séduit par le Népal où je suis resté d'abord 12 ans, puis 4 ans un peu plus tard. J'ai d'abord géré puis dirigé le Centre Culturel Français durant 12 ans dans ce pays où j'ai fait plus de 25 treks totalisant 17 mois de trekking et écrit le premier Guide de VTT de la Vallée de Katmandou.

J'ai ensuite exercé en Indonésie et en Tunisie avant de devenir diplomate au Bangladesh et au Népal. Si j'ai touché à toutes les activités de plein air possibles, la marche au long cours est restée mon activité favorite et j'ai fêté ma retraite en faisant la randonnée du Pacific Crest Trail, ou PCT - 4.240km du Mexique au Canada, puis se grande sœur le Continental Divide Trail (CDT). Aujourd'hui, je voudrais partager un peu de mon expérience de marcheur ultra léger et de mon émerveillement avec mon site sahibvoyageur.fr



Comment est né ton attrait pour le voyage et pour la randonnée ?

Grandi hors de France, j’ai toujours envisagé ma vie à l’étranger. Si, à l’adolescence, la randonnée m’a surtout permis de m’échapper du pensionnat, j'y ai très vite pris goût et entrainé l'un ou l'autre de mes amis durant les vacances : GR 4, GR 5, Causses, Cévennes… que des bons souvenirs malgré les sacs de 20 kg qui étaient alors la norme, les épaules en compote et les ampoules dès les premiers jours dans des chaussures trop lourdes et mal faites.

50 ans plus tard on idéalise son vécu d'adolescent, mais je crois qu'au-delà de l'aspect sportif alors prééminent, nous soupçonnions déjà que ces espaces libres ont un message plus profond que leur simple beauté, que le vent a quelque chose à nous apprendre, que l'aube est une parabole.


Les 3 âges du marcheur


Tu as parcouru le PCT et le CDT (4200km chacun !) ainsi que plusieurs treks au Népal, quels intérêts trouves-tu dans la marche (très) longue distance ?

La marche est avant tout une école. Grâce à l’utra-léger, la randonnée cesse d'être une rude marche digne de la Légion Etrangère pour devenir une parenthèse dans la vie professionnelle, un moment hors du temps et du monde où d'autres normes s'imposent : lenteur du vécu, simplicité, calme, silence, coupure avec l'extérieur, un moment de remise en question implicite de notre mode d'existence et de nos buts.

La répétition de ces intermèdes, même limités aux deux à trois semaines imposées par le travail, m'a permis de réaliser que notre milieu familial et social se charge bien souvent à notre place de nous fixer des buts dans la vie, et nous place sur des rails sans trop tenir compte de nos besoins profonds : s'orienter vers la branche où nous avons le plus de facilité, y progresser autant que faire se peut, remplir les critères sociaux de la réussite, voilà ce qu'un bon fils doit faire.

Assis le soir face à l'immensité d'une face rocheuse se perdant dans les nuages, à cinq jours de la plus proche route, l'esprit au repos, il devient difficile d'esquiver la question : qu'est-ce que je veux, vraiment ?

La marche au long cours, par sa lenteur, sa durée, la répétition infinie d'un geste simple, nous conduit, si on la laisse faire, à une forme de méditation. Se déploie alors en nous la réalisation que nous sommes libres, libres non au regard des contraintes extérieures, mais, plus important, face aux réponses que ces contraintes éveillent en nous.

Le bivouac en autonomie libère, lui, de la tyrannie du temps : nulle part où arriver, la liberté de se poser là, 10 minutes ou des heures, de prendre des variantes. On apprend à mépriser le but au profit de l'instant, du chemin.


Et la Randonnée Ultra-Légère dans tout cela ?

Ah oui, la RUL. Et bien, remettons-la à sa place : un outil, précieux, oui, mais seulement un outil. Faut-il alors s'y lancer ? Oui encore et pour deux raisons.

D'abord par plaisir, parce que porter moins reste la meilleure façon d'apprécier toute marche, longue ou courte. Il convient juste de moduler sa pratique en fonction de l'usage envisagé et de ne pas tomber dans l’extrémisme.

Ensuite et surtout pour le dépouillement qu'elle demande, ce décapage, qui donne le besoin et la possibilité de s'engager dans une marche de longue durée, a toutes les chances de changer votre vie.

Oui, je sais, tout le monde ne peut pas se permettre trois à cinq mois de marche… facilement. Pas du tout ? Pensez-y fort : choisir cette priorité et se battre pour la concrétiser peut être le pivot d'une existence. Car si la RUL joue le rôle d'un premier décapant et d'une méthode indispensable, ma propre expérience m'a convaincu qu'une marche longue en bivouac est une excellente façon d'intérioriser la patience, la résilience, la simplicité pour enfin frôler le bonheur.

Et puis, il y a ces moments de grâce qui nous illuminent sans prévenir au débouché d'un col grandiose ou devant une simple fleur, un vent dans les herbes. Instants magiques où nous sommes submergés par un sentiment de plénitude, une envie de hurler de joie parce que le monde est beau et que, sans pouvoir l'expliquer, nous y participons de tout notre être. Des secondes qui repoussent vers l'insignifiance les petits tracas du quotidien face à l'immensité de la joie que nous avons trouvée au détour du chemin, mais qui est sans cesse à notre portée pourvu qu'on en ait conscience.

 Pour en savoir plus sur la Randonnée ultra légère : retrouvez les informations et réflexions sur les aspects plus techniques, les comparaisons, les budgets et les listes de matériel sur le site de Jean.


Tu as refait 3 mois sur le PCT, pourquoi y revenir ?

J’avais planifié de parcourir le Pacific NorthWest Trail, le long de la frontière canadienne, mais il s’agit d’un parcours difficile que je n’envisageais pas de faire seul ; or, mon partenaire a dû renoncer et j’ai été obligé de me rabattre en dernière minute sur autre chose. Pas grave : en faisant cette moitié du PCT plus tard en saison qu’en 2016, j’ai eu l’impression de parcourir de nouveaux paysages et de vivre une expérience différente, plus facile et plus sociable.


A quand l'Appalachian trail pour la triple couronne ?

Jamais ! L’Appalachian Trail est trop proche de la civilisation pour mon goût. Ce qui m’attire aux USA, c’est avant tout l’immensité sauvage : cette possibilité de marcher six jours sans jamais rien voir d’humain, maison, route ou ligne électrique, même loin à l’horizon. Si c’est pour voir des auberges et des villages presque tous les jours, autant rester en Europe : les villages sont plus beaux et la bouffe meilleure ! Par contre, je réfléchis à l’Arizona Trail (désert et Grand Canyon) ou au Te Araroa en Nouvelle Zélande.

 Pour en savoir plus sur les trails longue distance aux Etats-Unis


N'as-tu pas envie de découvrir d'autres pays que les USA et Népal ? Par exemple les sommets d'Amérique du Sud ou d'Afrique ?

J’ai grandi en Bolivie et voyagé en Amérique du sud et ce sont des régions magnifiques, mais assez mal adaptées aux contraintes de la marche en autonomie. J’ai aussi vécu en Tanzanie et en Tunisie et là aussi, ce continent me semble plus adapté à d’autres formes de voyage que la randonnée ultra-légère. Restent la Nouvelle Zélande, l’Islande, le Canada, l’arc alpin avec les Via Alpina… bref une multitude d’endroits à explorer.


Dans quels autres pays as-tu voyagé et lesquels conseillerais-tu plus particulièrement ?

Je ne vais pas faire la liste des quelques 25 pays parcourus plus ou moins en profondeur, mais disons que je conseillerais, toujours dans le cadre de la randonnée à pied :

La France et ses GR d’abord car nous vivons dans un pays splendide qui offre de multiples possibilités quelques soit le type de randonnée souhaitée. Au-delà de l’affluence rencontrée sur les Chemins de Compostelle ou de Stevenson, les GR 4, 5, 9 ou 10 et leurs variantes méritent d’être mieux connus.

Le Népal pour les amoureux de la haute montagne mais facile qui disposent d’au moins trois semaines et d’un budget moyen.

Les USA pour les marcheurs qui recherchent la solitude et l’immensité et qui disposent de temps.


Comment prépares-tu de tels voyages ?

En France, la préparation se limite à télécharger les cartes, à trouver si possible la liste des ressources en alimentation le long du chemin et à voir comment arriver au début de la randonnée.

Au Népal, à moins de disposer de beaucoup de temps, passer par une agence est sans doute la meilleure solution.

Aux Etats-Unis, les distances et la rareté des approvisionnements possibles exigent une vraie préparation logistique, que je détaille sur mon site pour le PCT et le CDT.

Mais avant tout : il faut rêver.


Quels conseils donnerais-tu à ceux qui veulent se mettre à la marche longue distance ? Et les erreurs à éviter ?

Adopter l’ultra léger est indispensable. C’est pour aider les Français à se familiariser avec ses techniques simples mais mal connues chez nous que j’ai écrit le premier guide en la matière : « La randonnée ultra-légère – guide pratique ».

Au-delà de 3-4 semaines de randonnée, la résilience se joue dans la tête plus que dans les jambes.

Les trois erreurs capitales lors d’une marche longue sont de partir autrement qu’en ultra-léger, de choisir des chaussures lourdes et/ou des chaussettes mal adaptées et enfin de mal gérer la fatigue.


Tu attaches beaucoup d'importance à l'ultra-léger, on imagine les avantages. Mais cela doit supposer un confort très spartiate ?

L’ultra-léger est une suite de compromis dont dépend le confort. Mon sac de base (tout, sauf l’eau et la nourriture), avec ses 6,5 kg, me permet d’avoir une vraie tente avec tapis de sol et moustiquaire, un matelas gonflable, un bon sac de couchage et un réchaud, autrement dit un confort tout à fait classique pour un randonneur.

On peut faire avec beaucoup moins, et j’ai vu des marcheurs du PCT randonner 5 mois avec moins de 4 kg, mais là, c’est au prix d’un confort effectivement très spartiate et même de dangereuses impasses sur la sécurité.


Tu fais aussi du VTT, j'imagine que l'organisation doit-être différente ?

Mes voyages en VTT datent désormais trop pour que je me permette de donner des conseils.


Je vois que tu écris des livres et des articles. Est-ce ainsi que tu finances tes voyages ?

Sûrement pas : écrire ne paie pas ! J’écris pour le plaisir, pour partager mon expérience et donner envie de partir.


As-tu alors recours à des financements extérieurs ?

Non, j’ai la chance d’avoir travaillé toute ma vie et de pouvoir m’offrir ces randonnées, qui ne sont pas si coûteuses à la journée une fois qu’on a le matériel.


Aujourd'hui quelle est la suite du projet ?

Je continuerai de randonner aussi longtemps que mon corps me le permettra et je souhaite contribuer à populariser la randonnée ultra-légère en France, car c’est le meilleur moyen de réhabiliter la randonnée en itinérance et en autonomie, méthode qui apporte à mon sens le plus de plaisir.


Les livres de Jean Romnicianu

La randonnée ultra légère – guide pratique, éditions Souny, distribué en librairie par les éditions « les mots qui portent » et sur le site de l’auteur.


Pacific Crest Trail / Carnet de route du Mexique au Canadaéditions Jacques Flament et sur le site de l’auteur.

Continental Divide Trail / 4200 km, carnet de route et préparationéditions Jacques Flament et sur le site de l’auteur.





Et maintenant, que visiter ? Les autres itinéraires de voyage

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