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22 octobre 2023

Interview de Perrine : se reconstruire par la marche longue distance

Suite de l'interview de Perrine : marche longue distance sur le Pacific Crest Trail (PCT) aux Etats-Unis, de la voile et un bilan de toutes ces riches expériences.


Comment décides-tu de te lancer sur le Pacific Crest Trail ? Bien que cela semblait plutôt être le rêve de Nate, ton mari... on sent une envie de lui faire plaisir et de l'accompagner mais aussi des inquiétudes sur tes capacités. Est-ce que cela a été difficile de dépasser ces doutes, ou est-ce que finalement tu t'es dit « j'y vais et on verra bien » ?


Je connaissais le PCT avant de rencontrer Nate à travers le témoignage d’une Française qui l’avait parcouru avec 2 mules. Je m’étais dit « waouh, quelle formidable aventure » et je n’avais pas cherché plus loin.

Le PCT relevait un peu du fantasme, pour Nate comme pour moi : qui passe 5 à 6 mois à marcher 4270 km de la frontière mexicaine à la frontière canadienne ? Dans les montagnes et à bon rythme pour éviter la neige dans les Cascades à la fin du parcours (spoiler, on a terminé sous la neige !)

Sans transat, il n’y aurait peut-être pas eu de PCT.

Je t’explique…

J’ai rencontré Nate en mars 2016 au cours de mon tout premier jour de trek solo en Nouvelle Zélande sur une île quasi déserte. Lui et ses 2 amis d’enfance faisaient le même parcours que moi. Entre 2 séjours à la voile, j’ai naturellement expliqué que j’apprenais à naviguer dans le but de traverser l’atlantique à la voile.

Une fois en couple avec un non-Européen, le fait que je ne pouvais pas reprendre un job « classique » devenait une évidence. Et j’avais cette croyance bien ancrée qu’en étant à nouveau en couple, il me fallait retourner à la vie « normale », donc au travail (et plus vite que ça, la fête est finie !). Alors que je passais en revue 17 idées de reconversion, Nate m’a stoppée net : « depuis que je t’ai rencontrée, tu parles de traverser, est-ce que tu veux/vas le faire ? Parce que si tu es d’accord, je viens avec toi l’hiver prochain. »

Marché conclu !

Une fois de l’autre côté de l’Atlantique, je lui ai dit « tu choisis la prochaine aventure ».

Lui : « PCT ».

Moi : « OK, mais avec des mules ;-)

Aucun d’entre nous ne s’y connaissait, ni en rando longue distance ni en ultra léger.

A nos débuts, Nate portait un sac de 85 litres, un bocal d’huile de coco, une canne à pêche, une poêle à frire et un hamac !

Mais d’avoir traversé un océan sans posséder un voilier, ou roulé 2700 km à vélo solaire, on savait qu’on pouvait réaliser nos projets les plus fous.

Ma plus grosse inquiétude, c’était mes genoux. J’avais régulièrement de vives douleurs en cas d’effort prolongé, à pied comme à vélo. Alors marcher 10-12 heures par jour ?!

C’est passé ! J’ai chouchouté mon corps et cultivé les pensées les plus bienveillantes et reconnaissantes à son égard. A chaque douleur (périostites tibiales, épaules, nerf sciatique…), j’ai cherché quels ajustements faire et j’ai remercié ma bonne étoile de m’accorder cette chance inouïe de vivre cette aventure.

Sur le PCT au Mont San Jacinto avec Nate


J'ai lu que tu voyages assez léger. Est-ce que, comme Jean Romnicianu, tu as adopté l'ultra-léger comme religion ?


Tu as raison de parler de religion. C’est un grand sujet sur le PCT et dans le monde de la rando longue distance en général.

La réponse courte, c’est oui. Mais pas ultra-ultra light ou gram weenie… car c’est une quête sans fin qui nécessite un inconfort que je ne suis pas toujours prête à consentir. J’aime avoir chaud et être au sec (rires) !

D’abord, maîtriser le poids du sac me rassure. Je me sens préparée.

Ensuite, ça a été tout un cheminement…

En 2013, je retrouve une amie réunionnaise avec une grosse valise et lorsqu’on décide de passer une semaine à Rodrigues (à l’est de l’île Maurice), on se lance le défi « sac de 25 litres (ce qu’on avait) et pas de téléphone. » On est conquises !

En 2014, je fais un trek de 2 semaines au Maroc dans le Djebel Saghro puis la Vallée du Drâa et je suis sous le charme. Les mules, puis les dromadaires portent nos affaires, les tentes, la nourriture et l’eau. Facile. A l’époque, j’ai un sac de 50+10 litres et un sac de 35 litres à la journée. A la fin du séjour, je n’ai utilisé que 2 ou 3 t-shirts, un pantalon, une polaire, une veste et rien des 800 g de médicaments conseillés « au cas où ».

On dit qu’un sac ne doit pas peser plus de 20% de notre poids. Donc lorsque je décide de vivre sac sur le dos avec mes 52 kg toute mouillée, je ne veux pas porter plus de 10-11 kg. Mission accomplie, tout rentre dans mon sac de 35 litres !

Quel luxe de pouvoir garder mon sac en cabine, sur mes genoux dans le bus ou sur le dos en journée quand je ne sais pas encore où je veux passer la nuit…


Au terme de mon tour de chauffe en Europe, je sens que je peux passer une année en Nouvelle Zélande avec. Je réduis encore mon paquetage et emporte désormais mes chaussures de rando.

Pour le PCT, je dois encore tailler. Pas le choix quand il faut porter 6 à 8 litres d’eau dans le désert et jusqu’à 8 jours de nourriture dans la Sierra Nevada.

Dans le milieu on parle de base weight et de Big 3.

Le Big 3, c’est : couchage, abri et sac à dos. Je passe de 5.5 kg à 2,65 kg !!


Je n’ai jamais pesé mon base weight, le poids avant eau et nourriture mais j’ai continué à éliminer en marchant : serviette de toilette, shampoing, vêtements « de ville », Opinel, carnet, liseuse, premiers secours, etc. C’est sain de commencer avec un peu trop pour commencer confort et de se délester petit à petit.

Pour conclure sur l’ultra-léger.
Faire une tonne de recherches est rassurant, prévoir tous ses colis de ravitaillement ou prévoir de rallier tel ou tel lieu à telle date est rassurant. Mais les personnes qui terminent sont rarement les mieux préparées ou celles qui portent les sacs ultra light.

Les personnes qui terminent sont celles qui savent danser avec les circonstances, les imprévus, les blessures (mon cas avec des périostites tibiales dès le 9ème jour), celles qui s’adaptent et celles qui apprennent en marchant.

En psychologie, on parle de fixed ou growth mindset. Veut-on voir des murs ou des solutions ?

Donc, mon conseil : pas de sur-préparation, ce qui compte, c’est de sortir de chez soi, marcher sac sur les épaules et en tirer les leçons.



Quels conseils donnerais-tu à ceux qui veulent se mettre à la marche longue distance ? Et les erreurs à éviter ?


Tenter l’aventure ! Si tu te sens appelé.e, il y a quelque chose à découvrir…

Démarrer petit. Tu peux commencer près de chez toi, par un week-end, ou/puis 3-4 jours, ou/puis une semaine…

Ne pas se perdre dans la préparation. C’est souvent une excuse pour ne pas y aller. A la place, recycle, emprunte, loue du matériel. Tu en apprendras plus sur ton matériel, tes préférences culinaires et tes capacités qu’en regardant des Youtubeurs vanter une tente qu’on leur a envoyé gratos.


Ma première sortie solo, c’était 6 jours en Nouvelle Zélande au début de l’automne. Je n’avais ni réchaud, ni sac de couchage, ni tente, ni carte, ni guêtres (boue). J’étais inquiète mais je voulais vraiment y aller. Au retour je suis repartie pour 8 jours avec une grande joie et un sac allégé !

Ne pas attendre d’avoir un.e ami.e avec qui y aller. Si on parle de rando longue distance sur des sentiers fréquentés (Compostelle, GR10, HRP, GR20, GR34, PCT, Appalachian Trail, Te Araroa, etc.), partir seul.e ne veut pas dire marcher/bivouaquer seul.e. A moins de le vouloir.


Respecter le milieu traversé : forme-toi au Leave no trace. On est trop peu sensibilisés en France et en Europe. Reste sur le sentier, ne coupe pas les lacets, ne nourris pas les animaux, remballe tous tes déchets (même les épluchures et restes alimentaires), remballe ton PQ utilisé, fais ta vaisselle et lessive à distance des cours d’eau, fais tes besoins à plus de 100 m d’un cours d’eau et enfouis-les, campe à distance des lacs et cours d’eau pour ne pas endommager les berges, etc.

Quel bilan dresses-tu de ce changement radical ? On imagine les vertus, y a-t-il aussi des choses négatives ou pas si simples ?


Ça a été (c’est toujours) tout un chemin. Il m’a fallu me libérer des croyances héritées des milieux dans lesquels j’ai évolué (famille, système scolaire, entreprise, etc.).

J’aime le mot « radical » dans ta question parce qu’il me ramène à la racine du mot. Radical vient de radix, racine (justement). Il ne devrait rien avoir d’extrême à retourner à qui nous sommes, ce qui nous a toujours appelé.es, nous paraît juste, nous énergise et nous permet de donner le meilleur aux personnes autour de nous : notre en-vie, notre joie de vivre.

Comme tout le monde, je rencontre des difficultés, vis des remises en question (une ou plusieurs chaque année, souvent calquées sur le changement de saison), des moments de doute, de fatigue ou de découragement (souvent à l’approche de mes lunes). Je sais mieux entendre mon corps et mon esprit qu’avant. Le bon comme le moins bon et j’accueille les deux avec une grande confiance parce que j’ai appris à ne plus craindre les tempêtes, à danser sous la pluie et à accepter que le gel anéantisse mes plants de tomates. Je ne me complais plus dans le rôle de victime (plus de 2 minutes). J’observe et j’avance.

Tout est affaire de point de vue. Un point de vue qu’on choisit en fonction de nos valeurs ou de notre chapitre de vie.

Être en couple est difficile, divorcer est difficile.

Être indépendant est difficile, travailler pour un patron est difficile.

Communiquer est difficile, ne pas communiquer est difficile.

Je paraphrase un post sur Instagram dont j’ai trouvé la conclusion problématique : « La vie ne sera jamais facile. Elle sera toujours difficile. Mais on peut choisir our hard. Choisissons avec discernement. »

Et si, en partie, on se rendait la vie difficile en ne faisant pas de place en nous pour se connaître, pour choisir en conscience et apprendre à accueillir les difficultés. Et si on s’efforçait de se demander au quotidien comment rendre nos choix joyeux ?

Je ne suis pas responsable de la météo mais je suis responsable de mon cap et de ma manière de naviguer les tempêtes.


Après toutes ces aventures, quels pays t'ont le plus marquée ? Pourquoi ?


Question cruelle mais pour rester dans le thème de qui on est, de nos choix et de nos valeurs, je te donne un top 5 chronologique :

La Suède à travers un échange avec des jeunes Suédois.es à 16 et 17 ans : observer, oser parler anglais et faire comme eux. En particulier se déchausser chez les gens et marcher pieds nus dans l’herbe grasse dès que possible. Puis en 2017, caboter et explorer les skärgårdar (archipels, littéralement des jardins de rochers). Les båtfolk (plaisanciers, littéralement les gens en bateau) sont tous de sortie et se réjouissent de l’été, une saison courte pourvue de jours infinis et de nombreux arrêts au bastu, le sauna.


La Nouvelle Zélande : sans surprise, c’était le jardin d’Eden nécessaire à ma remise sur pieds. Un pays assez lointain pour nettoyer qui je n’étais pas ou plus. Quand tu nettoies ce qui n’est toi, tu nais toi. C’est un pays de voyageurs, culturellement facile à appréhender, sûr pour une femme qui voyage seule et où la nature est facilement accessible. Là-bas j’ai ralenti, repris des forces, tombé les masques, pris confiance en moi (rando solo, stop solo) et rencontré mes meilleurs alliés (mon corps, mon intuition et Nate). C’est aussi un pays où tout le monde marche pieds nus, jusque dans les supermarchés !




L’Irlande pour ses 50 nuances de vert, ses embruns énergisants, le camping sauvage et l’histoire (famine, oppression anglaise, guerre civile, Eglise) omniprésente, racontée par des trentenaires.


Mon retour en France avait été brutal et prendre 2,5 mois pour faire le tour de l’Irlande en stop nous a permis, avec Nate, de clarifier nos envies pour la suite de l’aventure à deux.


→ A voir : The Wind that Shakes the Barley de Ken Loach, primé à Cannes et quasiment pas montré en Grande Bretagne. Le vent se lève en version française.

La Macaronésie, c’est-à-dire les archipels de l’Atlantique nord : Açores, Madère, Canaries et Cap Vert. Voir des terres émerger (dont certaines culminent à 3700 mètres) après des jours en mer et quand les fonds marins sont 4000 mètres sous la coque ressemble à un miracle. Tantôt désert, tantôt nature luxuriante, imaginer ces terres depuis la mer, s’en rapprocher encablure après encablure ne cesse de m’émerveiller. J’ai dit que j’étais passionnée de volcans et mouvements tectoniques (danse incluse) ?


Les Etats-Unis, ce pays trop grand et que je perçois comme agressif. Cependant, les paysages variés, à couper de souffle, une vie sauvage préservée et l’opportunité de passer des jours sans croiser des humains ont fini par me séduire à pied, en canoë et en road trip sur plusieurs jours.


A quoi ressemble ta vie maintenant ? Comment réussis-tu à voyager autant tout en assurant un confort matériel ?


Je ne crains plus l’avenir, le temps qui passe ou de passer à côté de ma vie. Pour situer les choses, quand j’ai terminé mes études en Allemagne à 22 ans, mon copain m’attendait et ma cheffe avait gardé mon poste au chaud pendant un an : le luxe ultime pour qui recherche la sécurité. Pourtant, une autre part de moi voyait un long tunnel bien droit dont je ne sortirais qu’à la retraite. Au même moment, des camarades parlaient de PVT en Australie, s’expatriaient en Asie, bouclaient leur sac pour l’Amérique Latine ou s’élançaient sur la route de la soie. J’aimais ma vie en Allemagne : tout était découverte et simplicité. J’habitais dans une chambre de 9m². Je me sentais libre, je savais que tout était possible. « A l’âge de la retraite, je pourrai de nouveau ressentir que tout est possible » était la phrase qui accompagnait ma vision du tunnel.

Tu l’auras deviné, l’une de mes valeurs principales, c’est la liberté.

Ma vie aujourd’hui, je ne la subis pas, je la crée, je l’améliore tous les jours. Je ne me laisse plus guider par des propositions extérieures ou des phrases défaitistes comme « on ne peut pas tout avoir », j’ai su créer un lien de confiance avec mon intériorité pour choisir et agir non pas par peur ou par dépit mais en suivant ma joie et mes envies à long terme.

Ma vie me ressemble : elle est en constante évolution au gré des projets et des découvertes, qui m’animent.

Confort matériel : parlons d’abord de confort émotionnel. Il est bien meilleur qu’avant parce que j’ai appris à dire « non » et « moi je ». Mes relations sont bien meilleures : relation avec moi-même, avec les autres et avec Nate, avec qui je partage ma vie et dans certaines aventures quasi 24h/24 !

Confort matériel, il est moindre car je ne veux plus me sentir enchaînée à un objet ou un lieu. Mes revenus fluctuent. Certains mois je gagne plus que lorsque j’étais en entreprise et quand je suis sur la route je mets en pause mes accompagnements ou, si c’est possible, je ne garde que 3 ou 4 clients. Certains diraient précarité, je dis liberté.

Ce dont je suis certaine, c’est que l’arrivée de la retraite ne sera pas une sortie de tunnel mais un chapitre où je me vois continuer à travailler 2 jours par semaine et consacrer les 5 autres à jardiner, lire, faire la sieste, cuisiner, recevoir et contempler la nature.

J’aspire à vivre une vie de chapitres : https://leplusbeauvoyage.com/le-luxe-du-temps/

Aujourd'hui quelle est la suite du projet ?


Traverser l’Atlantique une deuxième fois et aussi le Pacifique.

Je te réponds depuis Gibraltar. Je suis à bord d’un voilier de 12 mètres avec un capitaine et un équipier avec lesquels j’ai navigué 1 mois en 2017 et 4 mois en 2018.

On a démarré dans les Baléares il y a 10 jours et on remet les voiles demain pour rallier Madère puis les Canaries d’où on s’élancera en décembre vers les Caraïbes, avec une escale au Cap Vert.

Une fois aux Caraïbes, soit on s’arrête et on attend l’année suivante, soit on traverse le canal de Panama avec de belles escales : Galapagos, Polynésie Française, îles Cook, Nouvelle Calédonie et notre destination finale : Bay of Islands en Nouvelle Zélande.

Le capitaine et propriétaire du bateau a émigré de l’Angleterre en Nouvelle Zélande à l’âge de 16-17 ans (en 1975) et c’est un privilège de l’accompagner dans ce rêve qu’il chérit depuis tant d’années…

Addendum septembre 2023.

J’ai adoré mes retrouvailles avec la voile, mes camarades, les Baléares, Madère, les Canaries… et j’ai l’impression d’avoir perdu l’envie. Ce que je t’ai écrit plus haut en juillet, ça claque mais ça ne vibre plus en moi.

L’automne sera une saison propice au recentrage… à suivre !

J’ai entrepris l’écriture d’un récit qui retrace mon parcours du burn-out à cet espace où tout est possible auquel j’aimerais qu’on ait tous et toutes accès au niveau personnel et collectif. Il est quasi terminé et je n’ai pas encore recherché d’agent ou d’éditeur (si tes lecteurs ont des contacts… ;-) !)

J’ai plaisir à retrouver mon bureau, mes plantes vertes, les colibris et recommencé à travailler avec des personnes d’horizons variés : des entrepreneurs qui pivotent ou veulent arrêter de forcer, des humains qui veulent remettre plus de sens dans leur vie, des voyageurs qui rentrent à la maison et se demandent quel chemin prendre…

Souhaites-tu ajouter d'autres choses que je n'ai pas abordées ?


Juste te remercier pour tes questions auxquelles j’ai eu grand plaisir à répondre.

J’ai été plutôt loquace alors je vais inviter tes lecteurs et lectrices intéressés à visiter mon site https://leplusbeauvoyage.com/ , à m’écrire (je réponds toujours) et s’inscrire à mes Niouzes (un cadeau les attend) pour suivre mes prochaines aventures et recevoir des invitations à des événements…



Et maintenant, que visiter ? Les autres itinéraires de voyage

14 octobre 2023

Interview de Perrine : le voyage comme reconstruction

Ou comment le voyage peut aider à se reconstruire après un burn-out. Perrine nous explique son cheminement et sa façon de concevoir le voyage, avec beaucoup de sincérité et de philosophie.


Un grand bol d'air

Bonjour Perrine. Peux-tu brièvement te présenter ainsi que ton parcours ?



Curieuse, je suis une voyageuse de la vie qui aime le mouvement, les découvertes, les rencontres, les défis et les surprises. Et aussi les temps d’escale et de digestion. J’aime prendre le temps d’écrire et de me perdre un appareil photo à la main, parfois dans mon potager lorsque les coccinelles dorment encore dans les feuilles de tournesol. Je m’émerveille de l’éclairage, des premières pousses, des abeilles qui butinent les fleurs de ciboulette et de bourrache alors que des colibris (je vis en Californie) foncent à quelques centimètres de mon visage. Je suis fascinée par la Vie sous toutes ses formes, vie intérieure comprise.

Crédit Marie-Seillery - Changement radical

J’ai grandi entre les embruns et les chemins verts de Normandie (avec l’Angleterre juste en face), la campagne béarnaise et les montagnes ariégeoises en vacances. Au collège, les langues (anglais, latin, allemand, espagnol) sont des portes d’entrée sur des civilisations et cultures qui m’intriguent. Je participe à des échanges de jeunes (Suède et Allemagne) puis suis des études de commerce à Bordeaux (Kedge) et Münster en Allemagne. Dans ma vie professionnelle, j’interagis avec beaucoup d’interlocuteurs en Europe et au-delà.

Petit coin de Suède

Ma vingtaine est une décennie de conquête mais aussi d’oubli de certaines parts de moi.

En 2014, mon monde s’effondre et mes certitudes volent en éclat : j’avais réussi dans la vie mais je n’avais pas réussi ma vie.

Après des mois de rien, je pars avec un sac à dos de 35 litres sur le dos.

Comment mettre toute sa vie dans un 35 litres

Depuis, j’ai vécu de multiples aventures, rencontré l’amour, changé de métier et je me considère semi-nomade.

Le point de départ de ton changement de vie a été un burn-out. On a l'impression que le corps dit stop mais aussi que l'esprit n'est plus capable de réfléchir sereinement et d'agir sur ce qu'il convient de faire à ce moment-là ?


Quand je m’effondre en juin 2014 – à presque 30 ans, je n’ai aucune idée de ce qui se passe. Je comprends alors (enfin) que je vis une situation de harcèlement moral au travail. Je suis à bout de solutions et je suis épuisée.

A l’époque je pensais que le burn-out touchait exclusivement des personnes constamment sur le pont et qui vivent/voient des situations très difficiles comme les soignants et les pompiers.

Les émissions de radio sur le harcèlement au travail que j’écoute à ce moment-là dévient régulièrement sur le burn-out. Je tenais mon diagnostic.

Vivre un burn-out pour une personne qui va toujours de l’avant et trouve toujours des solutions (le profil des burnouté.e.s) est une expérience effrayante car, tu as raison, du jour au lendemain, le corps dit « stop » et le cerveau refuse la mise à l’arrêt. Il est dans le déni. Il imagine le pire, retrace le chemin parcouru, imagine 1001 scenarii, turbine à 200 km/h pour éradiquer le problème. Il est en surchauffe et épuise encore plus la machine corps/cerveau.

Comment sort-on la tête de l'eau à ce moment-là ? Pourquoi est-ce si difficile ?


Ça varie d’une personne à l’autre.

Pour moi, la principale difficulté, c’était une l’incompréhension. Face à ce qui m’arrivait, et celle de mes proches : « reprends-toi, ça ne te ressemble pas. ». L’épuisement professionnel est un mal qui ne se voit pas, je n’avais pas de mots et il n’existe pas de pilule magique.

Lorsque je pose mon diagnostic, je sais que ça va être long. Je n’ai plus d’appétit, j’ai des douleurs musculaires partout, je dors très peu la nuit, peine à rester éveillée la journée. Je ne contrôle rien. Ce n’est plus mon cerveau et ma volonté qui décident.

Donc, à ta question « comment on sort la tête de l’eau » : en lâchant et en faisant confiance. Il faut admettre qu’on n’a que très peu de marge de manœuvre parce que ce n’est pas une phase pour faire mais pour laisser faire.

Se lancer, tomber, se relever, apprendre

→ Pour en savoir plus, rendez-vous sur cet article du blog de Perrine ou écoutez le podcast de cette interview.

Qu'est-ce qui te paraît le plus aidant : le retour à la nature, au sport, voir du monde, casser la spirale de la négativité, la construction d'un nouveau projet... ou autre chose ?


Voir du monde : impossible ! La honte est énorme et personne ne comprend ce que tu vis. Et quand tes proches et collègues cherchent à t’aider ou te donner des conseils, ils t’enfoncent un peu plus sans s’en rendre compte !

A l’opposé, l’antidote, c’est du temps seul.e. Du temps de rien. Apprivoiser le silence pour entendre ce que j’avais tu ou délaissé. Regarder à l’intérieur m’a permis de voir le décalage entre qui j’étais et qui j’étais devenue.

Aujourd’hui je suis coache et savoir repérer les pensées qui sous-tendent nos actions/réactions/non-actions est une immense partie du travail. Alors on peut constater si oui ou non elles nous emmènent dans la direction qu’on a choisie. Dans mon cas, je n’avais pas vraiment choisi ma direction, j’avais suivi les rails, les injonctions...

Je retiens 3 leçons de mon burn-out : 1- seule moi sais ce qui est bon pour moi, 2- savoir dire « non » et 3- savoir dire « moi je ».

Petit à petit, j’ai recommencé à sortir : de courtes sorties en nature, d’abord dans le quartier puis un peu plus loin (rivière, lac) avec le chien de mes parents, souvent à l’aube ou au coucher de soleil. J’ai aussi sympathisé avec le chat du quartier (ronronthérapie) et commencé la photo.


Quant à la spirale négative que tu évoques : au début je ressentais une profonde colère face au fait que personne n’ait vu ou dit quelque chose. Sauf qu’il y avait eu des alertes. Des alertes physiques que j’avais ignorées (fatigue, envie de rien et même malaises) et des remarques de quelques collègues : « ce n’est pas à toi de faire ça », « je ne sais pas comment tu tiens », « à ta place, je serais parti.e depuis longtemps. »

« A cœur vaillant, rien d’impossible », la devise des personnes qui se retrouvent en situation d’épuisement.

Quand une amie m’a envoyé le lien vers un article qui parlait du burn-out comme d’un point de passage pour une renaissance, j’ai enfin abandonné le masque de la victime pour me concentrer sur l’essentiel : ma guérison. Je savais que ce serait long, l’horizon était très brumeux mais j’avais foi car je savais que le soleil brillait de l’autre côté.

Les étapes colère et victimisation étaient nécessaires sur le chemin de ma guérison.

Je dirais que la remontée de la pente est passée par un changement de posture, de rythme et d’hygiène de vie (sommeil, alimentation, mouvement, respiration) et aussi d’hygiène mentale : abandonner ma to-do list, troquer mes râleries pour des célébrations, un dialogue intérieur bienveillant, poser des limites, etc.

En quoi le voyage a-t-il aidé à te sortir de cette situation ?


J’ai commencé à voyager 9 mois plus tard : une véritable gestation !

Crédit Marie Seillery - Conclusion

La vérité c’est que 6 semaines après mon effondrement, j’ai décidé de reprendre une semaine avec mes congés d’été. Compliqué mais faisable. Puis la rentrée de septembre, j’ai tenu coûte que coûte jusqu’au salon que j’organisais et mi-octobre je m’effondrais de plus belle. Encore une fois j’avais tenté le passage en force.

Le voyage m’a permis de complètement intégrer mes nouveaux apprentissages et d’honorer mes besoins et envies.

J’ai commencé petit et 3 mois plus tard, à Copenhague, à bord d’un voilier que j’aidais à restaurer, je trouvais mon style de voyage : lent, long, en lien avec le territoire et au contact de personnes qui faisaient des choix courageux et inventaient un autre monde.

Ma devise : « si ça me plaît, je reste, si ça ne me plaît pas, je passe mon chemin. » Quand dans la vie sédentaire, j’avais tendance à me laisser enfermer dans des situations que je ne souhaitais plus, désormais, les portes étaient grand-ouvertes.

On met les voiles !

Dans plusieurs de tes expériences, on ressent un besoin de se retrouver avec soi-même voire de s'isoler, bien que ces expériences puissent être vécues avec d'autres personnes. Prendre du temps pour soi, est-ce une des priorités pour aller mieux ?


Absolument. C’était la suite logique de mon chemin.

Socialisée à être extravertie, vie professionnelle en contact permanent avec différents interlocuteurs (recherche & développement, commerciaux, usine, fournisseurs, agences, salons, clients, compta, etc.) et une vie personnelle que je souhaitais tout aussi active et palpitante, j’avais grand besoin de poursuivre la retraite amorcée pendant ma convalescence burn out…

Au mois de septembre 2015, je pars en Nouvelle Zélande avec un Permis Vacances Travail (PVT) d’un an. Toutes mes affaires tiennent dans un sac-cabine et au-delà des 4 premières nuits à Auckland, je n’ai ni programme, ni billet retour. Mais j’ai du temps et beaucoup d’espace… Et la furieuse envie de les défendre.

Nouvelle-Zélande, nouveau départ


Je parle souvent de mini-retraite ou de lune de miel avec moi-même. Cette quête d’intériorité, ce n’est plus pour aller mieux mais pour retrouver la direction juste pour moi.

Car en quittant mon travail et ma vie confortable, je savais que je n’y retournerais pas. Je voulais être ouverte à tout ce qui se présenterait, je voulais laisser la part belle aux hasards (qui n’existent pas) et aux rencontres : dauphins, apiculture, voile, rando solo, autostop, mon futur époux…

Je voulais permettre à mes rêves et envies ensablées de refaire surface. Comme le rêve d’apprendre à naviguer pour un jour traverser l’Atlantique à la voile… ou de participer au Sun Trip.



Peux-tu nous raconter dans tes expériences en bateau comment on gère cet isolement. On doit se sentir à la fois très libre, mais finalement dans un espace très restreint ?


Tu as raison au sujet de l’espace restreint. Surtout en compagnie d’un capitaine et de 9 jeunes dans un voilier de 15 mètres de long. Souvent, les voiliers des années 70-90 ont un intérieur en lambris et des couchettes, ce qui les rend très chaleureux et favorise à la fois le partage et la considération des autres. J’y vois plus de convivialité que d’isolement.

Aussi, si je considère qu’en temps qu’être humain, je fais partie du milieu naturel, alors je ne suis isolée/coupée de rien. Au contraire, je suis connectée à tout ce dont j’ai besoin : les éléments, les levers et couchers de soleil, les levers et couchers de lune, je reconnais les étoiles, je lis les nuages et ressens le vent…

Je distinguerais navigation côtière et hauturière. J’ai quitté le plancher des vaches progressivement.

En 2015, je n’avais jamais mis les pieds sur un voilier. Pendant mon séjour de 3 mois à Copenhague à bord d’un 2 mâts à quai, j’ai eu l’opportunité de faire plusieurs sorties de quelques heures sur un voilier sans moteur de 1903 !

Puis en Nouvelle Zélande, j’ai assisté un capitaine qui emmenait des jeunes dans la wilderness (le monde sauvage) mais on restait dans une anse protégée pour éviter que l’équipage ne soit malade… il valait mieux, au milieu des Quarantièmes Rugissants !

Avec mon objectif de traversée de l’Atlantique, je voulais prendre le large… mais rien ne se passe jamais comme prévu à bord d’un voilier. 2 semaines au large de Moorea, 55 jours en mer Baltique et je n’avais toujours pas navigué plus de 20 heures sans toucher terre (ou le fond marin au mouillage).

Enfin, en 2017, j’ai fait des « passages » entre Gibraltar et la Costa del Sol puis la Costa Blanca, Ibiza et Minorque. J’assurais des quarts de nuit de 3 heures et recevais régulièrement la visite des dauphins ou assistais seule au spectacle des Perséides.

Une autre vision d'Ibiza

Puis j’ai enchaîné avec une traversée à deux de Gibraltar à Lanzarote. Révélation. Car se relayer à deux signifie : un qui tient la barre, un qui dort. Au début j’étais sur le pont la majorité de la journée mais aidée par une légère insolation, j’ai compris que mon repos était capital pour notre sécurité. J’ai alors pris un grand plaisir à lire, dormir, écrire, tutoyer les étoiles et les oiseaux marins. Il y avait plus de place pour mon intériorité, pour me remplir de ce que moi je vivais et moins faire la conversation et absorber des choses extérieures à mon expérience.

Au détroit de Gibraltar

Puis Nate (mon cher et tendre) m’a rejoint et à quatre, on a traversé de Galice à Madère puis de Madère à Lanzarote.

Et fin janvier 2018, la traversée de l’Atlantique à quatre : 6 jours des Canaries au Cap Vert et 15 jours pour atteindre l’île de La Barbade.

Ca peut paraître long mais c’est passé vite car la vie à bord est rythmée par nos quarts, le repos, le repas pris ensemble et les réparations (inévitables !)

Isolement ET convivialité


Itinéraire des navigations atlantiques de Perrine



Voyager en mode de transport doux (marche, vélo, voile, auto-stop) : est-ce du coup devenu indispensable pour justement prendre son temps et se retrouver ?


Tout à fait !

La marche pour s’éloigner des foules, accéder à des lieux sauvages et s’entendre penser.

Le vélo pour aller un peu plus loin et flotter dans les descentes.

Le stop pour découvrir un territoire à travers les histoires de ses habitants.

La voile pour se faire bercer et vivre le miracle d’une terre émergée après des jours d’infini.

Les Açores, passage obligé pour un marin !

Lorsque j’ai travaillé en Suisse à la fin des années 2000, je « voyageais » beaucoup comme disait mon chef belge néerlandophone. J’accompagnais les commerciaux en tournée, rencontrais des fournisseurs, assistais à des salons, des conférences et prenais encore l’avion les week-ends. En tombant récemment sur mon calendrier 2009, j’ai constaté que j’avais pris l’avion 50 fois cette année-là ! C’est dingue !!

Déplacement et voyage sont pour moi deux notions distinctes.

Le déplacement ignore souvent le territoire. Par exemple, je rendais souvent visite à un client à Amsterdam et je ne connaissais que l’aéroport aseptisé, le taxi, l’hôtel en périphérie et sans personnalité, un autre taxi et les locaux du client. Puis retour en sens inverse. D’Amsterdam, je n’avais rien vu ! Ça me paraissait complètement absurde. Au 4ème déplacement, j’ai pris un hôtel au bord d’un canal, la navette aéroport-gare centrale et rencontré une Amstellodamoise d’origine indonésienne grâce à Couchsurfing. Elle m’a rejoint à l’hôtel à vélo, m’a dit « monte à l’arrière », fait visiter et goûter de fabuleuses frites dans une brasserie en service depuis plus de 200 ans !

Je venais d’ajouter du voyage au déplacement.

Au printemps 2015, j’ai encore peu d’énergie et quand je prends un aller-retour pour 3 semaines en Grèce, ça me paraît suffisant pour découvrir le pays. Grave erreur. Je passe la dernière semaine au même endroit. Epuisée de bouger tous les jours et frustrée de ne pas avoir pu rejoindre de jeunes Grecs grâce à HelpX qui ont opéré leur retour à la terre.

Retraite en Grèce

Un mois plus tard, au cours d’une conversation avec une Danoise à bord du fameux voilier qu’on restaurait, lorsque je lui raconte que je vais partir en Nouvelle Zélande, elle me dit combien elle a aimé ce pays… et qu’elle n’y retournera pas car elle ne prend plus l’avion.

Boum ! Jusqu’à cet instant, je ne m’étais jamais posé la question. Tout le monde prenait l’avion au travail, cumulait ses miles et les utilisait en vacances. J’étais intriguée. Cette Danoise était plus jeune que moi et elle était plus sage. Elle se posait des questions que je ne m’étais jamais posées. Juste avant, elle m’avait raconté son choix électoral et sa fierté à l’endroit de ses compatriotes qui ont tout fait pour pousser l’usage du vélo dans les années 80. « Regarde aujourd’hui, on est tous.tes à vélo et notre cadre de vie est tellement agréable. Nous sommes un petit pays de 5 millions d’habitants, nous pouvons faire des choix intelligents et avancer dans une direction saine et soutenable. »

J’aime le principe d’abord entendu dans la bouche de Mathieu Chambaud (Fondateur de Slow Rando et réalisateur du documentaire « Via Alpina ; l’envers du chemin ») : "quand je vais quelque part, je m’assure d’y passer le temps qu’il m’aurait fallu pour m’y rendre à pied".

Retrouvez ici la suite de l'interview de Perrine... son expérience sur le PCT, le bilan de ses expériences, la suite de ses aventures... Palpitant !

Et maintenant, que visiter ? Les autres itinéraires de voyage